Imaginez la scène. New York, milieu des années 80. Le jeune Harold Hunter fait du skate à Washington Square Park, sur le point d'entrer dans l'histoire comme l'un des skateurs les plus légendaires de la ville. Plus encore, il est sur le point de devenir une figure emblématique de New York, cité au même titre que ses pairs du Downtown comme Jean-Michel Basquiat, Keith Haring et Andy Warhol.
L'histoire d'Harold est exceptionnelle car elle défie tous les pronostics. De la vie dans une cité HLM au statut de premier skateur professionnel afro-américain à New York. D'un marginal à une star internationale. Son parcours est une source d'inspiration encore aujourd'hui, et son impact continue de se faire sentir grâce aux efforts indéniables de la Fondation Harold Hunter.
Créée par un groupe d'amis proches après la disparition tragique d'Harold, la HHF est une association locale qui soutient les skateurs new-yorkais en leur offrant des opportunités et en défendant leurs intérêts. À l'occasion de la Journée annuelle Harold Hunter, nous avons rencontré Ray Mendez, directeur artistique de la fondation et ami de longue date de la famille Hunter.
Qu'est-ce que la Journée Harold Hunter ?
La Journée Harold Hunter a été créée il y a 16 ans. C'est toujours un plaisir de célébrer chaque année la mémoire de notre ami disparu, et l'événement s'est transformé en un véritable festival de quatre jours. En début de semaine, nous privilégions les événements culturels : projections de films, expositions de photos, des activités culturelles et conviviales. Le week-end, place au skate ! On organise aussi de bonnes vieilles fêtes, car nous sommes des enfants des années 90 et Harold était connu pour son sens de l'humour. C'est vraiment touchant de voir que cette énergie est toujours présente et que le souvenir d'Harold est toujours aussi vivant.
Cependant, il ne s'agit pas seulement de perpétuer sa mémoire, mais aussi de célébrer l'héritage de notre travail, qui a un impact sur la jeunesse. C'est ce qui compte le plus. Nous sommes pleinement conscients que notre appartenance à la culture skate a changé nos vies. Il est difficile de savoir où nous serions devenus sans elle, et nous lui en sommes profondément reconnaissants. Personnellement, il est essentiel pour moi de transmettre ce que j'ai appris. Si je suis si engagé auprès de la Fondation Harold Hunter, c'est en partie parce que ces gars sont comme une seconde famille pour moi.
Comment la fondation a-t-elle vu le jour ?
J'ai toujours été très proche de la famille d'Harold Hunter. Le jour du décès d'Harold, j'étais justement avec son frère aîné, Ron. Je lui ai dit : « Il faut absolument qu'on fasse quelque chose pour Harold, peut-être créer une fondation. » C'était mon idée de départ, mais c'est un autre groupe d'amies, Priscilla et Jessica Forsyth, qui a véritablement lancé le projet. Jessica venait tout juste de prendre sa retraite après seize ans passés chez HHF. Elle a été le moteur de cette initiative ; sans elle, la fondation n'existerait pas.
Comment vous et votre groupe d'amis avez-vous découvert le patinage et quel impact cela a-t-il eu sur votre vie ?
On était des gamins un peu perdus. En gros, quand on a découvert la culture skate, ça a complètement changé le cours de nos vies. Franchement, je viens du South Bronx et j'ai failli finir comme un produit de mon environnement. J'étais sur une mauvaise pente, et j'aurais probablement fini par y laisser ma peau. Et puis, dès que j'ai découvert la culture skate, tout a basculé. J'étais tellement absorbé que ça a envahi ma vie. Je ne pensais qu'à ça. La culture skate, ce n'était pas juste un nouveau groupe d'amis, c'était une vraie deuxième famille. Je connais Ron Hunter depuis une trentaine d'années, et on est amis depuis tout ce temps, grâce au skate. Ça a structuré ma vie. Ça m'a sauvé parce que ça m'a offert une alternative à ce que je connaissais. Quand on découvre d'autres activités, ça ouvre une fenêtre sur un monde complètement différent.
On entend tellement d'histoires de personnes dont la vie a été transformée grâce au patinage. Qu'est-ce qui, dans cette culture, la rend si marquante ?
J'y pense souvent car je me prends un peu pour un anthropologue social amateur. Il faut réfléchir au type de personnes que le skate attire. Souvent, ce sont des marginaux, des gens qui refusent de se soumettre au statu quo. Si vous ne rentrez pas dans le moule, vous allez à contre-courant. Parfois, c'est difficile. Le skateboard leur offre une tribune. Il ne nous a pas seulement emmenés dans notre quartier ou notre pâté de maisons. Il nous a emmenés aux quatre coins du monde. C'est particulièrement vrai pour Harold. Un gamin qui a grandi avec peu de moyens, sans repères, sans véritable structure familiale. Il se lance dans une activité, y excelle très vite, et grâce à sa personnalité attachante et drôle, il devient très populaire, très rapidement. Il devient athlète professionnel, acquiert la célébrité grâce à ses apparitions dans des films, des clips musicaux et des vidéos de skate, et voyage à travers le monde, menant une vie de rêve.
Imaginez : vous venez d'une situation où vous n'avez pas beaucoup de ressources, vous essayez de vous débrouiller seul, et puis vous trouvez ce moyen de transport… un fichu skateboard ! Alors vous le prenez et vous le chevauchez jusqu'à ce qu'il soit complètement usé. C'est ce qu'a fait Harold. Il est devenu une figure emblématique, non seulement en tant que skateur, mais aussi en tant que personnalité. C'est incroyable, non ? Qu'une simple planche à roulettes puisse changer une vie à ce point…
Comment l'énergie et la personnalité d'Harold se traduisent-elles dans la mission de HHF ?
Harold n'était clairement pas un ange. Il a fait des bêtises, comme beaucoup de skateurs (et de gens en général). Mais le plus important, c'est qu'Harold se souciait des autres. Il était du genre à donner sa chemise à quelqu'un. Et c'est précisément cette énergie qui anime HHF : se soucier des autres, les soutenir et les encourager. La générosité et l'altruisme sont essentiels dans la vie, alors travailler avec une organisation, au nom d'Harold, en sachant qu'il était de cette trempe, est une grande satisfaction.
Quels sont les principaux projets sur lesquels vous vous concentrez avec la fondation ?
Au départ, lorsque la fondation a été créée, nous avons connu un grand succès à New York en envoyant des jeunes à des camps de skate. Nous les envoyions au camp de skate de Woodward, un véritable paradis pour les adeptes du roller en Pennsylvanie centrale. C'est comme être transporté dans un autre univers, surtout pour les jeunes issus des quartiers défavorisés. C'est ce qui les a attirés à la HHF, mais ce n'est pas la seule action de la fondation. Notre objectif est d'offrir un point d'ancrage, une forme de structure, à ceux qui vivent dans des situations atypiques. Nous accompagnons des personnes dont le parcours de vie est loin d'être linéaire : aller à l'école, trouver un emploi, fonder une famille. Leurs vies sont souvent sinueuses et non conventionnelles, c'est pourquoi nous proposons une variété de programmes.
Nous avons actuellement un programme de sensibilisation à la santé mentale que nous menons depuis un certain temps et qui connaît un franc succès. Nous avons également une initiative pour les femmes et les personnes LGBTQ+ qui est très dynamique ici, et les membres de cette communauté sont incroyablement passionnés et dévoués. Nous proposons un programme d'orientation professionnelle créative où nous enseignons aux enfants des compétences artistiques, car les skateurs sont souvent intéressés par leur développement. Dans le monde du skateboard et des sports extrêmes, le contenu est primordial ; c'est pourquoi nous organisons des ateliers de photographie, de réalisation de films, de graphisme et de conception web. Nous proposons également un programme de certification « Grandir avec Google » .
Qui sont les participants du HHF ? Quel est le principal groupe démographique ?
Cette question me fait réfléchir à la raison pour laquelle j'insiste sur le fait qu'Harold Hunter a été le premier skateur professionnel noir de New York. Je le dis parce que nous sommes des enfants des années 80 et 90, des enfants des quartiers défavorisés. Quand on pratiquait ces activités, les gens autour de nous nous demandaient : « Pourquoi vous faites ça ? C'est un sport de Blancs. » On me l'a souvent dit, et je suis sûr qu'Harold aussi. Mais j'adorais le skate ! C'était ma passion, quelque chose que j'aimais profondément. C'est fascinant de voir, plus de 30 ans après, à quel point la situation a changé. Et c'est ça l'essentiel. C'est s'ouvrir à cette magnifique communauté mondiale où l'on échange énergie, idées et expériences de vie. C'est ce que je trouve si beau dans la culture skate. Je suis très heureux de faire partie d'une communauté qui pense ainsi.
Pour revenir à la question, HHF a commencé avec une majorité de jeunes hommes. La situation a évolué au fil du temps, HHF et ces jeunes ayant grandi avec nous. Certains de nos premiers membres ont maintenant la trentaine. Et le plus beau, c'est qu'ils deviennent à leur tour entraîneurs et mentors. Transmettre son savoir est une valeur fondamentale chez HHF. Nous accueillons des jeunes hommes, des jeunes femmes, des personnes plus âgées. Les jeunes apprennent des anciens, les anciens apprennent des jeunes… Il y a un formidable échange d'énergie à tous les niveaux et je pense que, en tant qu'organisation, nous vivons une expérience vraiment exceptionnelle.
C’est également formidable de constater que, grâce à vos efforts, la portée de HHF s’est étendue bien au-delà de sa seule ville d’origine.
Bien sûr, New York est notre ville d'origine. C'était aussi celle d'Harold. Mais notre ambition a toujours été de rayonner au-delà. C'est tout à fait logique, car c'était là que résidait l'influence d'Harold. Enfant de New York, il était pourtant connu dans le monde entier. Son impact est remarquable. C'est pourquoi je pense qu'il est essentiel que HHF déploie ses ailes et partage sa mission à l'international.
Avez-vous des anecdotes précises de patineurs dont la vie a été particulièrement affectée par le HHF ?
HHF compte de nombreuses réussites. Tyshawn Jones a remporté le titre de Skateur de l'année de Thrasher à deux reprises, un exploit remarquable. Il y a quelques années, il était un jeune de HHF qui a participé à notre camp Woodward, et aujourd'hui, il est incontestablement l'un des meilleurs athlètes de skateboard. Mais c'est une question intéressante, car pour notre organisation, ces réussites sont certes formidables, mais elles ne constituent pas nécessairement notre objectif. Notre objectif est de fournir une base solide et une infrastructure. Nous sommes bien conscients que nous ne cherchons pas à créer la prochaine superstar du skateboard. Ce que nous essayons de faire, c'est d'offrir un parcours de vie aux jeunes et de leur fournir les ressources et l'infrastructure nécessaires. Nous savons que, statistiquement, la plupart de nos jeunes ne deviendront pas des athlètes et des skateurs professionnels, mais il existe d'autres moyens pour eux de mener une vie épanouissante tout en restant liés à la culture skate et en travaillant d'une manière ou d'une autre dans le secteur. J'en suis très conscient en matière de développement professionnel. C'est pourquoi nous avons notre département des carrières créatives. Car notre objectif est d'offrir des opportunités. Pour moi, il s'agit de placer les gens aux bons endroits pour qu'ils puissent progresser. D'autres projets sont-ils prévus pour l'avenir de HHF ?
Nous sommes en pleine croissance. Nous avons connu une croissance importante et nous avons la chance de compter sur une équipe formidable de personnes talentueuses au sein de HHF. Elles nous soutiennent, et nous devons donc les soutenir en retour. Il s'agit de garantir à ces personnes une vie épanouissante et durable. Nous sommes une association à but non lucratif, et gérer une telle association est une tâche ardue. Cela implique de collecter des fonds régulièrement, de trouver des financements pour aider les personnes dans le besoin. C'est parfois une mission ardue. C'est pourquoi les partenariats avec des entreprises comme THE SKATEROOM et d'autres organisations de qualité sont essentiels. Quand on me questionne sur l'avenir, je suis très enthousiaste quant à ces collaborations. Le partenariat avec THE SKATEROOM est un projet que Charles [Antoine Bodson] et moi avons commencé à envisager il y a cinq ans. Comme quoi, les bonnes choses arrivent avec le temps, n'est-ce pas ? Il a peut-être fallu cinq ans pour que le programme avec THE SKATEROOM et HHF se concrétise, mais je suis ravi que cela ait enfin eu lieu. Nous avons de nombreuses idées formidables et j'ai hâte de les voir se réaliser.
Il est tout à fait logique que ce partenariat ait été lancé en même temps que notre collection d'autoportraits d'Andy Warhol . Andy Warhol et Harold Hunter, deux icônes new-yorkaises, réunis sur un même projet. C'est vraiment exceptionnel.
Harold Hunter, Andy Warhol, Basquiat, Keith Haring… Autant de légendes new-yorkaises. Anecdote amusante : Basquiat et Harold Hunter ont fréquenté le même lycée. Ils en ont d'ailleurs été renvoyés. De plus, Keith Haring et nombre d'amis d'Harold, rencontrés dans le centre-ville, étaient amis. C'est formidable de voir ce lien se perpétuer. Il y a quelque chose de vraiment magique dans tout cela, dans la façon dont nous faisons circuler cette énergie. C'est vraiment magnifique.