
Crédit : Ayden Stoefen
L'objectif de la Concrete Jungle Foundation est d'autonomiser les communautés du monde entier grâce au skateboard. Parmi ses actions, la CJF construit des skateparks et propose des formations pratiques à leur construction. Les apprentis acquièrent ainsi des compétences qui transforment leur vie et leur ouvrent des perspectives insoupçonnées.
Nous nous sommes entretenus avec Lisa Jacob, responsable de la construction et du développement, ainsi qu'avec Tim van Asdonck, directeur des programmes, afin d'en savoir plus sur cette organisation inspirante et l'approche axée sur l'action qui la caractérise.
Qu'est-ce que Concrete Jungle Foundation ?
Tim : Nous sommes une organisation caritative qui construit des skateparks et met en œuvre des programmes pour la jeunesse dans les pays en développement. Après la construction, nous constituons des équipes locales, proposons des activités pour les jeunes et menons des actions communautaires. Nous sommes actuellement actifs en Jamaïque, au Pérou et au Maroc, où nous menons nos projets de skatepark avec des équipes locales qui les gèrent. Notre objectif principal est de transmettre des compétences et de garantir l'autonomie des équipes. Nous accordons une grande importance au développement durable local.
Comment chacun d'entre vous s'est-il impliqué auprès de CJF et comment ces parcours ont-ils été ?
Tim : J'ai commencé à travailler avec CJF juste après la construction du premier skatepark dans un quartier du Pérou. Il était situé sur le terrain d'une école et devait compléter le programme scolaire. J'étais chargé d'organiser les activités : comment un skatepark pouvait-il être bénéfique aux jeunes ? J'y suis resté un an et, pendant cette année, nous avons constaté que notre initiative portait ses fruits. C'est à ce moment-là que CJF a réalisé : « Si cela fonctionne ici, voyons si nous pouvons le faire ailleurs. » C'est ainsi qu'a débuté le projet en Angola, et c'est là que j'ai rencontré Lisa.
Lisa : J'ai découvert CJF lors d'un projet de bénévolat pour la construction d'un skatepark en Angola. J'ai ensuite participé à un autre projet en Jamaïque, où nous avons lancé le programme d'apprentissage « Planting Seeds ». Bien que j'aie l'habitude de construire des skateparks pour diverses associations caritatives, l'approche de CJF m'a paru très différente de ce que j'avais connu auparavant, notamment en termes d'implication et d'engagement locaux, ainsi que de développement communautaire. J'ai alors compris que construire un skatepark ne suffit pas ; la transmission des compétences et l'appropriation locale sont la responsabilité de l'ONG. À cette époque, j'ai également intégré le conseil d'administration de CJF, puis l'équipe.
Comment identifier de nouveaux territoires à étendre ?
Tim : Au début, il a fallu beaucoup tâtonner pour comprendre ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas et ce à quoi il fallait faire attention. Pour nous, les principaux critères sont l'existence d'une organisation ou d'une scène locale active, ou qu'il se passe quelque chose dans le quartier, et que notre projet soit entre de bonnes mains. À long terme, nous souhaitons vraiment investir dans la qualité et le développement durable local. Nous voulons donc nous assurer qu'une équipe locale puisse gérer le projet, car nous ne serons pas là indéfiniment. Côté construction, de nombreux critères peuvent faciliter ou, au contraire, compliquer considérablement le processus.
Lisa : Le problème, c'est que les chantiers sont généralement loin des grandes villes, ce qui complique l'approvisionnement en matériaux. De plus, les contextes locaux varient d'un pays à l'autre et les cadres juridiques diffèrent également.
Rencontrez-vous également des difficultés sociales ou culturelles lorsque vous essayez de mettre en œuvre ces projets, notamment parce que le skateboard social est un concept relativement nouveau ?
Tim : C'est toujours un défi d'introduire quelque chose de nouveau. Beaucoup de personnes dans les communautés avec lesquelles nous travaillons ne connaissent pas le skateboard au départ. La manière dont on présente le skateboard et le projet de skatepark est primordiale. C'est aussi là que réside la force de notre travail. Nous construisons un skatepark comme un lieu de rencontre pour toute la communauté, un espace de loisirs et d'apprentissage pour les jeunes. Il est essentiel de le présenter comme une initiative communautaire, plutôt que de trop se concentrer sur le skateboard en lui-même, ce qui peut susciter le scepticisme.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le programme d'apprentissage Planting Seeds ?
Lisa : Le programme d'apprentissage « Planting Seeds » vise à offrir aux jeunes de la région la possibilité de participer à la construction d'un skatepark et d'acquérir toutes les compétences nécessaires. C'est aussi une opportunité d'emploi, car les participants sont rémunérés, ce qui leur permet d'y participer. Il est essentiel qu'ils se sentent acteurs du projet et qu'ils se l'approprient. Ils doivent en faire partie et être au cœur de toutes les évolutions de leur communauté. C'est pourquoi il ne peut s'agir de simples bénévoles étrangers :
ils doivent se sentir acteurs du changement dans leur communauté, car c'est eux qui en seront responsables à long terme.
Comment inciter les participants à s'engager dans ce projet ?
Lisa : On commence par un travail de réseautage au sein de la scène locale. On repère les personnes actives dans le milieu du skate local. Ensuite, on les rencontre pour mieux les connaître, ainsi que leurs projets actuels et futurs. On sélectionne alors les personnes motivées et en qui on perçoit un potentiel à long terme.
Tim : Il n'est pas obligatoire que les participants travaillent dans le BTP après la formation. Beaucoup d'apprentis sont devenus gérants de skateparks, moniteurs de skateboard ou ont développé d'autres centres d'intérêt. Nous savons que les intérêts varient d'une personne à l'autre et, même au sein du BTP, certains se tournent vers d'autres types de travail. Il s'agit donc de s'adapter, de cerner les intérêts de chacun, ce qu'ils souhaitent apprendre et comment ils peuvent évoluer.
Lisa : La première étape consiste à les impliquer, puis, lorsqu'ils sont exposés à de nouvelles opportunités et à de nouveaux processus d'apprentissage, ils sont capables de se découvrir eux-mêmes.
Combien de personnes participent à la construction d'un skatepark ?
Lisa : Cela dépend de la taille et de la complexité du projet, ainsi que des délais impartis. L'équipe peut varier de 8 à 25 personnes. Concernant les apprentis, nous en avions 6 au Pérou et en Jamaïque, et 4 au Maroc.
Pourriez-vous nous faire part d'exemples d'apprentis qui ont mis à profit les compétences acquises pendant le programme dans leur travail ultérieur ?
Lisa : Au Pérou, nous avons Jhikson Akamine Garcia, actuellement directeur des travaux chez CJF Pérou. Jhikson a commencé comme moniteur de skate, puis est devenu apprenti au sein du programme « Planting Seeds » avant d'intégrer le dispositif de continuité des apprentissages au Pérou. Nous avons perçu son potentiel et sa motivation, et nous l'avons donc invité au Maroc pour qu'il puisse poursuivre sa formation et explorer sa passion. Là-bas, il a fait preuve d'encore plus d'initiative et de responsabilité, et a souhaité s'investir davantage.
Tim : Il a aussi trouvé de nombreuses opportunités par lui-même par la suite, car il était très motivé et proactif. Il a commencé par s'occuper de la réparation et de l'agrandissement des skateparks de sa ville natale, puis il a fini par obtenir son propre projet de construction de skatepark entièrement indépendant pour un orphelinat au Pérou. La construction a duré six semaines et c'était la première fois qu'il devait gérer lui-même toute la planification, le budget et l'organisation.
Lisa : Nous avons également établi un partenariat avec The Skatepark School, un programme de formation en conception de skateparks dispensé par des professionnels du secteur en Australie. Il a obtenu une bourse pour suivre le cours en ligne, ce qui était formidable. Il a aussi eu l'opportunité de se rendre au Cambodge avec New Line Skatepark pour agrandir le complexe Skateistan. Actuellement, il construit une mini-rampe au Pérou.
Participer aux programmes du CJF représente indéniablement une formidable opportunité d'apprentissage pour les participants. Avez-vous également tiré des enseignements de cette expérience en tant qu'organisateurs ?
Tim : Tout est un apprentissage constant. Ce qui peut être difficile, mais aussi passionnant. Nous essayons d'aider les enfants à s'épanouir et à grandir, et c'est valable aussi pour nous. Au départ, nous n'y connaissions pas grand-chose, nous étions simplement très passionnés par ce que nous faisions. Et puis, nous avons beaucoup appris en cours de route : comment gérer certaines situations, certaines différences culturelles… Cela peut être épuisant, mais c'est aussi agréable parce qu'on n'est jamais bloqué. Il y a toujours quelque chose à faire.
Lisa : C'est tout à fait vrai. Chaque projet et chaque contexte culturel est différent. Il faut savoir s'adapter et trouver ses marques. Parfois, on peut percevoir certaines choses comme des problèmes, mais il y a toujours une solution, surtout en travaillant ensemble. Ce genre de projet ne se réalise pas seul. Toute l'équipe doit être sur la même longueur d'onde, s'adapter les uns aux autres et œuvrer pour un objectif et une vision communs. C'est vraiment gratifiant quand tout se déroule comme prévu.
Tim : Nous avons toujours des projets en cours. Je ne peux rien dire de précis avant l'annonce officielle, mais nous travaillons constamment à notre expansion et à notre développement. C'est formidable de rester en contact avec les communautés avec lesquelles nous collaborons et de voir les évolutions possibles.
Lisa : Tout a commencé avec le skateboard, mais le skateboard est avant tout un outil et un prétexte pour s'épanouir personnellement, professionnellement et socialement. Toutes les compétences acquises grâce au skateboard peuvent être appliquées à de nombreux aspects de la vie. La culture du skateboard est vraiment créative et passionnante ; elle englobe tellement de choses : le design, le tournage, la photographie, la construction… Apprendre de nouvelles compétences, rencontrer de nouvelles personnes et vivre des expériences enrichissantes grâce à des projets communs.
Existe-t-il d'autres projets d'envergure sur lesquels vous vous concentrez actuellement, en dehors du programme Planting Seeds ?
Lisa : Il y a aussi la continuité de l'apprentissage. Nous avons lancé ce programme dans la continuité du programme PSA, car nous avons constaté qu'après 4 à 5 semaines de participation à la construction du skatepark, les participants étaient conquis, non seulement par la construction, mais aussi par l'implication dans un projet communautaire et le développement du skateboard dans leur pays. Tous ont exprimé le désir d'en apprendre davantage et de bénéficier de plus d'opportunités de ce type. Nous souhaitions assurer un suivi et leur donner la possibilité d'apprendre d'autres métiers comme la menuiserie ou la soudure. Car même si l'on y est initié lors de la construction d'un skatepark, il faut plus de temps pour maîtriser le métier et approfondir ses compétences. Et il existe tellement de métiers utiles et intéressants à apprendre qui peuvent être bénéfiques pour l'emploi, pour des projets créatifs personnels, ou tout simplement pour développer la scène skate et partager la culture avec ses pairs.
Tim : Ces deux dernières années, nous avons également développé un programme de cours de skate, le programme Edu-Skate. Il ne se concentre pas uniquement sur la pratique du skateboard, mais plutôt sur des compétences essentielles à la vie : le respect mutuel, la créativité, la persévérance, etc. Nous avons œuvré ces deux dernières années pour partager ce programme avec d’autres organisations de skate et collaborer à son développement. Nous adaptons notre méthode à notre contexte spécifique, mais nous sommes conscients de ses limites et savons qu’il existe de nombreuses façons de mettre en œuvre un tel programme. Nous disposons d’un réseau international de 11 organisations de skate social, et tous les membres peuvent utiliser le programme Edu-Skate, que nous développons ensemble.
Comment les gens peuvent-ils soutenir la fondation ?
Lisa : Le mieux serait de rejoindre la famille CJF, qui est un programme de donateurs. Nous avons des membres partout dans le monde qui nous soutiennent et prennent soin de nous. Certains sont très impliqués : ils organisent des événements pour nous, projettent nos documentaires et parlent de CJF de différentes manières.
CJF vise avant tout à développer des compétences et des opportunités qui vont bien au-delà de la simple culture skate. Pourquoi avoir choisi le skateboard comme outil ? Était-ce un simple hasard s’il est devenu votre principal centre d’intérêt ?
Tim : On pourrait croire à une coïncidence, car au fond, tout repose sur une véritable passion. Mais en réalité, ce n'est pas un hasard, car c'est cette passion pour le skateboard qui nous a unis et qui a permis la création de notre association. Le skateboard a changé nos vies et nous souhaitons que d'autres puissent en profiter.