À l'instar d'un skateur, il puise son inspiration dans l'infrastructure urbaine, trouvant beauté et sens dans l'esthétique brute et industrielle. Il est donc tout naturel que l'artiste se soit associé à THE SKATEROOM pour une collaboration très spéciale.

En collaboration avec Jean-Charles de CASTELBAJAC et la galerie Plan X (CB HOYO, Evgen Čopi GORISEK et Pascal MÖHLMANN), Benjamin SABATIER est l'un des cinq artistes invités à créer une collection sur mesure d'éditions d'art de skateboards, organisée et dévoilée lors d'un événement exclusif à Paris Les Bains.
Pour sa contribution à cette collaboration, SABATIER a conçu une collection de planches de skateboard artistiques en béton, porteuses d'une signification fascinante. Dans une interview exclusive accordée à THE SKATEROOM, il dévoile la symbolique de ces éditions rares, ainsi que les inspirations, les centres d'intérêt et les mythologies personnelles qui l'ont mené là où il est aujourd'hui.
Quel a été votre parcours pour devenir artiste ?
J'ai grandi dans une famille d'artistes. Mes parents étaient professeurs d'art dans les années 1980 et organisateurs d'événements d'art contemporain à Marseille. Élèves de Claude Viallat à l'École des Beaux-Arts de Marseille dans les années 1970, ils m'ont permis de me familiariser avec le travail artistique et intellectuel du mouvement Supports/Surfaces. L'influence de ce mouvement est souvent présente dans ma démarche artistique, notamment à travers mes choix de formes et de matériaux.
De plus, les artistes que j'ai côtoyés lors de ces événements ont accompagné mon enfance et mon adolescence. Gina Pane, Fred Forest, Marie-Jo Lafontaine, François Boisrond, Keith Haring, Dominique Gauthier, Richard Monnier… leurs œuvres ont habité et façonné mon univers. Un des moments les plus marquants fut l'invitation de Keith Haring à dessiner avec lui à l'âge de six ans – une expérience incroyable. Très tôt, j'étais prédestinée à une vie consacrée à la création.
Votre travail possède une qualité très industrielle, presque architecturale. Qu'est-ce qui a donné naissance à ce style unique et comment a-t-il évolué ?
Dans les années 90, ma famille a acheté une ferme abandonnée dans la plaine du Livradois-Forez, en Auvergne, en pleine nature, au cœur des montagnes et des pinèdes. Avec mes frères, nous étions passionnés de rénovation. Pendant plus de quinze ans, nous avons été charpentiers, couvreurs, maçons, plâtriers, soudeurs, menuisiers, électriciens… et même bûcherons, souvent en amateur. Le plus éprouvant était de transporter les pierres et les morceaux de roche que nous empilions et assemblions pour construire des murets en pierres sèches. L’effort physique fourni et le savoir-faire acquis nous procuraient une grande satisfaction. Pour mes parents, ces activités étaient une forme d’apprentissage et d’épanouissement personnel, qui leur conférait une certaine autonomie et une grande indépendance grâce à l’acquisition de compétences pratiques. C’était une manière d’apprendre des matériaux par la pratique et l’expérimentation, de découvrir leurs potentialités et leurs limites, point de départ de toute création artistique. En utilisant ces matériaux de construction dans mon travail artistique, je prolonge cette histoire.
Votre travail vise à « inscrire l’art dans un contexte socio-économique plus large ». Qu’entendez-vous par là ? Et quel est, pour vous, le but ultime de l’art ?
Les matériaux que j'utilise appartiennent au domaine public et sont connus de tous. La manipulation de gestes lisibles est ma façon d'intégrer mon travail à la dynamique sociale. L'utilisation récurrente de matériaux bruts – brique, clous, béton, carton, ruban adhésif, etc. – éloigne ma démarche de celle d'un « créateur inspiré » héroïque, au profit d'une esthétique de la construction qui rend la reproduction des œuvres possible et accessible à tous.
La créativité, et la capacité de produire en général, sont à la portée de chacun. C'est l'aptitude à conjuguer l'esprit et le geste dans la transformation de la matière, afin de révéler le pouvoir autonome de l'individu libre. Il est essentiel à la créativité que l'individu manifeste et exprime son humanité. En ce sens, comment ne pas renouer avec les grandes utopies révolutionnaires des avant-gardes historiques ? L'homme est créateur d'œuvres animées par le désir utopique de transformer le monde, guidées par l'objectif d'atteindre le bonheur. Ce n'est pas un hasard si mon slogan préféré est « Faites-le vous-même ! »
Pourquoi le béton est-il votre matériau de prédilection (tant sur le plan esthétique que sur celui de sa signification plus large) ?
Le béton est un matériau que j'affectionne particulièrement. Tant pour sa malléabilité et sa texture, capable de se transformer de l'état liquide à l'état solide, que pour l'univers de la construction qu'il évoque. Le chantier est l'image d'un processus en cours, d'une forme qui prend forme. Le béton utilisé renvoie également à la modernité, notamment à l'architecture brutaliste et fonctionnaliste. Ces courants radicaux, inspirés par les thèses et les réalisations urbanistiques et architecturales de Le Corbusier dans les années 1950, reconnaissent la beauté brute et « naturelle » du béton. Les praticiens et théoriciens de sa pensée architecturale souhaitaient avant tout défendre une idéologie de progrès social, qui s'exprimait par la création de grands ensembles modulaires et répétitifs destinés au logement social. Avec le temps, la verticalité et la rudesse caractéristiques de ce type de construction sont en effet devenues synonymes d'une certaine violence socio-économique…
Mon travail avec ces matériaux, issus des chantiers de construction et des déchets ou surplus de la production de masse, reflète ainsi discrètement l'échec des utopies modernes, qu'elles soient architecturales, politiques ou sociales.
Pourriez-vous nous parler de votre collection avec THE SKATEROOM ? Son concept, son inspiration, le processus artistique…
Dans ce projet initié par THE SKATEROOM, j'utilise le béton pour produire des skateboards afin de repenser avec humour mes interrogations sur les utopies sociales et les échecs de la modernité.
Le béton reflète la froideur du monde urbain, le conformisme social et la puissance de l'économie mondialisée. La pratique du skateboard, en revanche, est synonyme de liberté ! Ses adeptes s'approprient physiquement la ville, ses surfaces de béton et son mobilier urbain industriel, détournant ainsi leur usage de manière ludique.
Les fragments de papier coloré, froissés et incrustés sur la surface des planches, sont pour ma part les déchets issus de mes activités actuelles – artistiques ou administratives – ramassés sur le sol de mon atelier. En effet, ces papiers pastel bon marché, dont la couleur standard est celle utilisée dans toutes les administrations du secteur tertiaire, servent ici à de grands collages abstraits, me permettant de peindre directement avec la « couleur de l’économie ». Le titre de la collection, « PLAY HARD », manifeste clairement le rapport critique entre la matière concrète, l’activité tertiaire et la pratique du skateboard.
Avez-vous une expérience personnelle du skateboard ou de la culture skate ?
Enfant, je vivais à la campagne et n'avais pas accès aux infrastructures urbaines nécessaires à la pratique du skateboard. C'est pourtant grâce aux magazines, à la mode, à la musique punk et aux graphismes (notamment les dessins de Jim Philipps) que j'ai pu découvrir cette culture, alors peu développée autour de moi.
L'une de mes plus grandes fiertés a été, vers l'âge de 13 ans, de réussir à m'acheter un skateboard d'occasion avec mes maigres économies. Une planche « Vision », équipée de roues « Krypto ». J'ai même pu la rénover et la repeindre avec mon propre style graphique.
La petite cour de la maison familiale (quelques mètres carrés recouverts de dalles de béton brut) était le seul espace disponible pour faire du skate et devint mon terrain de jeu préféré. Sur sa surface rugueuse et bosselée, je skatais du mieux que je pouvais, essayant de reproduire les quelques figures que j'avais vues sur la seule cassette VHS que je possédais. Ma pratique du skate n'a peut-être pas survécu à l'adolescence, mais la culture skate occupe une place importante dans mes légendes personnelles.
Vous vivez à Paris et Les Bains (où cette collection est lancée) est un lieu parisien emblématique. A-t-il une signification particulière pour vous ?
Étant trop jeune et pas encore parisienne dans les années 80 et 90, je n'ai malheureusement pas connu l'âge d'or des clubs des Bains. Quand je me suis installée à Paris après mes études au début des années 2000, le lieu avait perdu de son attrait et la vie nocturne parisienne branchée se déroulait ailleurs.
Néanmoins, les images et les récits des Bains à leur apogée, que j'ai vus à la télévision et dans les magazines, m'ont absolument fasciné. L'endroit était hanté par des figures mythiques comme Pierre & Gilles, Philippe Starck, Joy Division, Jean-Michel Basquiat, Depeche Mode, David Guetta, Andy Warhol.
Lorsque son propriétaire actuel, Jean-Pierre Marois, accompagné du conservateur Jérôme Pauchant, m'a contacté pour créer une œuvre in situ à l'occasion de sa réouverture en 2015, afin de marquer symboliquement la fin des années de transformation et de construction, je n'ai pas hésité une minute.
De même, lorsque j'ai été invité cette année à investir tout l'espace des Bains avec mes sculptures et collages récents, j'ai de nouveau été enthousiaste et ravi de poursuivre cette aventure.
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